Yūken (遊剣)

Notre ami Gérard (GG) a reçu une lettre de Ogura sensei, 8ème dan de Iai. Dans sa lettre, Ogura écrit qu’un de ses anciens sensei lui recommandait de pratiquer cinq fois plus que les autres. Dans sa lettre, il a également mentionné la notion de Yūken que je ne connaissais pas. Je lui ai donc demandé de me l’expliquer. Ogura sensei m’a répondu rapidement comme indiqué ci-dessous. Toutefois, sa lettre disait qu’il avait reçu des messages de kenyu (amis) ou déshi (disciples) de tout le Japon qui étaient stressés parce qu’ils ne pouvaient pas pratiquer autant qu’ils le voulaient à cause de COVID-19 et aussi l’avaient « bombardé » de nombreuses questions. En répondant à ces questions et en écrivant 700 à 800 cartes de vœux pour le Nouvel An, il souffrait et éprouvait de plus en plus de peine à tenir son pinceau.

Je l’ai donc appelé pour lui demander la permission de mettre sa lettre sur Internet. Son anniversaire est le 25 janvier, un mois après le mien. Ogura sensei est né dans l’année du chien (zodiaque chinois). Nous nous entendons bien. Nous avons ri pendant 37 minutes au téléphone.

The beginning of the first page of a letter written by Ogura Noburu in January 2022

The beginning of the second page of a letter written by Ogura Noburu in January 2022

(la lecture s'effectue de la droite vers la gauche et, par colonne, de haut en bas)

Peut-on toujours pratiquer des arts martiaux quand on est une vieille femme ? lui ai-je demandé. Il a dit « Oui, c’est possible. Une vieille dame qui avait à peu près mon âge est venue nous voir, et a obtenu son 5ème dan. Elle a décidé de continuer pour obtenir son 6ème. » Il dit que yūken signifie être absorbé par quelque chose sans réfléchir, comme un enfant.

Si je devais comparer le yūken à la musique, je dirais que cela signifie atteindre un état de grâce, quelque chose de génial voire de divin, un peu comme lorsqu’Éric Clapton entre en transe, un état second hypnotiqsant, et joue comme un dieu.

À mon avis, il y a quelque chose dans les arts martiaux que le football ou encore le baseball n’ont pas. L’artiste martial est capable, avec cetaines techniques et de l’entraînement, de transformer l’agressivité d’un adversaire. Ces techniques s’appliquent tant à ja joute physique de verbale. Physiquement, elles permettent la déflexion des agressions, leur contrôle, voire même le renvoi de l’énergie négative vers son point d’origine ; et avant même l’agression physique, le « jujutsu verbal » permet de désamorçer des situations tendues, voire critiques en les réorientant soudainement vers le rirela prise de conscience ou encore le respect mutuel ; ces techniques de jujutsu verbal/éthique sont magiques car elles évitent les querelles et les bagarres et surmontent les difficultés presqu’à chaque fois. (twitter.com/busujiujitsu).

Gérald dit : « Les gens comme Ogura Sensei sont des trésors nationaux. Mais je doute que beaucoup de Japonais comprennent cela. »


Yūken (遊剣) est juste comme Sachié l’a dit. [Au sens des kanji,] il est écrit « jouer avec des épées », mais le sens est en fait très profond. La signification originale du mot « jouer » est « jouer avec les dieux », et cela fait référence à l’état d’être avec les dieux. Par conséquent, jouer dans le monde des arts martiaux n’est pas une façon de passer le temps. Ce n’est pas non plus quelque chose qui doit être fait en vue de quelque chose d’autre. La façon dont un enfant joue en est un parfait exemple.

Un enfant qui joue, quel que soit le type de jeu, ne fait qu’un avec ce jeu. Elle/Il est « absorbé ». Elle/Il est « dans l’absence de penser ». Jouer, c’est être absorbé dans un monde qui est au-delà de la douleur et du plaisir, oublieux [inconscient] du temps, du sommeil. Pour appliquer cela à la pratique de l’épée, nous écrivons « jouer avec l’épée ». Par conséquent, atteindre ce point est précieux.

Voici un passage des Analectes de Confucius (rongo):

Si tu y penses (et cela s’applique au Iaido et au Kendo),
Est meilleur qui préfère une chose, qui se limite à la connaître.
Est meilleur qui apprécie cette chose, qui juste la préfère.


En d’autres termes, savoir faire n’est pas aussi bon que préférer faire, et préférer faire n’est pas aussi bon qu’aimer faire.

Le savoir (ou la connaissance), la préférence et la jouissance sont des mondes distincts. Cependant, le plaisir et jouer n’ont rien de relatifs. C’est un monde d’absolus. Par conséquent, atteindre ce point est précieux.

Je pratique cette voie depuis 58 ans. Je ne sais toujours rien, et je suis simplement absorbé par ce que je fais. Pourtant, grâce aux nombreux maîtres que j’ai eus, j’ai pu apprendre beaucoup de choses, ce qui m’a amené là où je suis aujourd’hui. J’ai également appris le Yūken par l’un de mes maîtres, une chose à laquelle je n’aurais jamais pensée si j’avais été trop inexpérimenté. Je crois que les enseignements de ces deux arts, humanistes (littérature) et martiaux, sont absolus.

J’aurai 76 ans cette année. J’aimerais ouvrir les tiroirs de mes 57 années de formation et en transmettre les contenus à la prochaine génération en les enseignant. Pour rendre la pareille à mes maîtres.